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"De arbeidersbeweging in België (1911)" door Henri De Man en Louis De Brouckère.

Notes sur « Le mouvement ouvrier en Belgique (1911) » 

vrijdag 13 juni 2025 12:03
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Jo Cottenier

En 1909-1910, l’un des seuls grands débats a lieu au sein du Parti ouvrier belge (POB). Il s’agit du débat sur une éventuelle participation au gouvernement, également connu sous le nom de débat sur le “ministérialisme”.

Le parti catholique possédait le monopole du pouvoir politique depuis l’avènement des socialistes (1885). Entre-temps, la question s’est posée de savoir si le POB était prêt à briser ce monopole par le biais d’une coalition gouvernementale avec le Parti libéral et à obtenir ainsi quelques postes ministériels.

Au sein de la Deuxième Internationale, il était courant que les partis frères publient dans les journaux de l’autre – Wikimedia Commons

Les deux articles parus dans Die Neue Zeit

Le mouvement ouvrier en Belgique (1911)[i] fournit quelques éléments de contexte pour le débat sous la forme de deux articles parus en mars 1911 dans Die Neue Zeit, le journal du SDP, le parti social-démocrate allemand. Henri De Man et Louis De Brouckère y livrent une critique cinglante du “révisionnisme de Bernstein – sans Bernstein”[ii] en vogue au sein du POB[iii]. Il convient de noter d’emblée que le débat avait déjà été tranché par un vote lors du 25e congrès annuel du POB, le 6 février 1910.

Ce que l’on pourrait appeler “l’opposition de gauche” à la participation gouvernementale y subit une défaite, n’obtenant qu’un tiers des voix. La résolution Vandervelde obtient 202 voix, contre 77 pour la résolution De Brouckère et 23 pour un amendement Huysmans/Vandersmissen (qui s’oppose à la participation gouvernementale mais n’exclut pas un éventuel vote en faveur du budget).

Participation à un gouvernement civil : “question de principe” ou “question tactique”?

Emile Vandervelde (1866-1938) Le patron du POB – Wikimedia Commons

La résolution Vandervelde annonçait donc déjà l’entrée dans un gouvernement dès que l’occasion se présenterait, “car la question de la participation au gouvernement est ‘une question de tactique, non de principe’ ; une question qui devra être résolue par un congrès du parti, le jour où elle se posera pratiquement”[iv]. La résolution Vandervelde prend ainsi la position de l’aile droite du parti (Bertrand, Anseele et Troclet) pour qui il ne s’agit que d’une question tactique.

En revanche, les résolutions des opposants (De Brouckère et De Man) optent pour une position de principe : “Le parti ne peut participer à un gouvernement bourgeois, ni lui apporter un soutien systématique”[v]. Vandervelde considère que la résolution de De Brouckère “sape l’action du parti”[vi]. Pour De Brouckère, il s’agit de choisir entre “un parti démocratique, à l’extrême gauche du parti libéral, ou un parti d’esprit révolutionnaire”[vii].

Après le 25e congrès (1910), la guerre a favorisé la réconciliation

L’entrée d’Emile Vandervelde dans le cabinet de guerre en 1914 n’est que le point culminant d’un débat qui avait déjà divisé le POB en 1909-1910. Après ce débat, l’opposition retourne ‘à la planche à dessin’ pour ne pas mettre en péril l’unité du parti. Les deux articles de De Man et De Brouckère, qui critiquent vivement l’embourgeoisement du parti, doivent être considérés comme un commentaire rétrospectif. Il s’agit d’une critique verbale du révisionnisme du parti qui n’aura plus de conséquences pratiques majeures. Lors des congrès suivants, le vote est unanime. L’opposition continue à défendre la paix mais soutient pleinement la position du parti de rejoindre l’Union Sacrée pour la défense de la patrie.

Carte postale de 1916 illustrant l’Union sacrée en France. Elle illustre l’idée que tous les clivages idéologiques, politiques et sociaux ont été mis de côté au profit de l’unité nationale en temps de guerre. Ce mouvement était également présent en Belgique en 1914 -Wikirouge.net

C’est ainsi que Vandervelde, De Man et De Brouckère s’associent pour une mission en Russie en mai-juin 1917. Ils s’y rendent pour convaincre les mencheviks de poursuivre la ‘guerre sainte’ aux côtés des Alliés. Vandervelde estime fièrement que lui et ses compagnons ont parlé à près de 100.000 personnes. “Tout au long du front, écrit-il, nous avons assisté à des scènes d’enthousiasme sans précédent. Il n’y avait pratiquement pas de réunions importantes qui ne se terminaient pas par le fait que les soldats nous portaient en triomphe. Cela se passait après d’interminables ovations entrecoupées de discours et soutenues par des fanfares militaires jouant la Brabançonne et la Marseillaise. Le tout aux cris de ‘Vive la Russie libre ! Vive la Belgique ! Vive le socialisme ! Vive l’Internationale !'”[viii].

Haine communale du bolchevisme

Afin de ne pas se méprendre sur la profondeur de l’opposition marxiste dans le débat de 1909-1910, il est utile de noter comment la figure la plus “raisonnée” de ce débat a fulminé contre la révolution bolchevique en 1919 et 1921. Louis de Brouckère écrit dans Le Peuple en 1919 : “Le bolchevisme n’est pas le socialisme. Il est étranger et hostile à toute notre pensée et à toutes nos traditions”[ix]. En 1921, il est encore plus sévère : “Quelqu’un a appelé le bolchevisme ‘Socialismus asiaticus’. Il est difficile de mieux le caractériser en un seul mot. Il s’agit en fait de la déformation asiatique et barbare d’une conception européenne et civilisée”[x].

Des soldats russes passent du côté des rebelles (wikimedia.org)

Louis De Brouckère fait ainsi pleinement sienne la leçon qu’Émile Vandervelde a tirée de la révolution bolchevique sur la manière dont une révolution socialiste doit ou ne doit pas se faire. “À ceux qui réclament maintenant le socialisme, le socialisme immédiat, il faut oser répondre : non, pas maintenant, pas immédiatement, mais après la préparation nécessaire à la naissance de la société nouvelle, et non pas après un avortement.” Les bolcheviks et leurs partisans “ne peuvent faire que des avortements”. Les ‘sages-femmes du monde nouveau’ seront celles ‘qui auront la patience d’attendre que la Révolution soit mûre’ et qui la prépareront par ‘un immense effort d’organisation et d’éducation’ de la classe ouvrière, en vue de réaliser à terme ‘la prise en main par le travail des principaux moyens de production et d’échange'”[xi].

Retour au débat de 1909-1910

Eduard Bernstein – le premier grand révisionniste.

Eduard Bernstein (1850 – 1932). Homme politique social-démocrate allemand – Wikimedia Commons

Alors que les partis sociaux-démocrates se renforcent à la fin du XIXe siècle, la question de la participation de l’État devient un sujet de débat majeur au sein de la IIe Internationale. En 1899, Bernstein innove avec son livre controversé ‘Die Voraussetzungen des Sozialismus’. Bernstein est entré dans l’histoire avec sa déclaration ‘Le mouvement est tout, le but n’est rien’. Cette phrase résume sa conviction politique selon laquelle le socialisme sera le résultat de nombreuses réformes. Mais le livre s’oppose également à toutes les théories économiques de Marx. Il remet en cause la théorie de la plus-value, réfute la polarisation et le matérialisme historique. En bref, Bernstein est connu comme le premier grand révisionniste.

En 1898, il expose toutes ses idées dans une lettre adressée au congrès du SPD (Parti social-démocrate allemand). Bebel, Kautsky et la jeune Rosa Luxemburg s’opposent à lui. Le congrès de Stuttgart rejette sa lettre, tout comme le congrès de Hanovre en 1899. Le congrès de Dresde en 1903 rejette la lettre par 288 voix contre 11, au moment où le parti fait une percée électorale avec 24% des voix (gagnant 55 sièges).

Ce révisionnisme politique s’est rapidement traduit par un débat sur la participation au gouvernement, en particulier après l’entrée surprenante de Millerand dans le gouvernement français Waldeck-Rousseau en 1899. Millerand n’a même pas attendu l’approbation de son parti. Cette entrée intervient dans le contexte de l’affaire Dreyfus, lorsque Millerand, soutenu par Jean Jaurès, prétend sauver la République de l’antisémitisme en acceptant un poste ministériel. Au sein du mouvement socialiste français, deux positions s’affrontent : celle du marxiste “orthodoxe” Jules Guesde et celle de Jean Jaurès.

Premier débat sur la participation des socialistes au gouvernement en 1900

Alexander Millerand (1853-1941). Premier socialiste à entrer dans le gouvernement bourgeois en France en 1899 – Wikimedia Commons

L’entrée du socialiste Millerand dans le gouvernement français est à l’origine du premier débat sur la participation gouvernementale au sein de la IIe Internationale. Il débouche sur le cinquième congrès de l’Internationale à Paris en 1900. Il y eut trois résolutions.

1) Celle de Guesde (France) – fortement soutenue par Rosa Luxemburg (Allemagne)  – était une position de principe interdisant toute participation des socialistes à un gouvernement bourgeois.

2) Celle de Jaurès (France) défendait l’entrée des socialistes dans les coalitions gouvernementales comme une voie vers la révolution socialiste. Elle a défendu l’initiative de Millerand.

3) Celle de Kautsky  (Allemagne) – centriste – dit que la participation n’est pas une question de principe mais de tactique et qu’il s’agit donc d’une question pour laquelle le Congrès n’est pas compétent. Mais Kautsky condamne les initiatives individuelles comme celle de Millerand. Le droitier Jean Jaurès saisit l’occasion de se rallier à la résolution de Kautsky. Celle-ci obtient une majorité de 29 voix contre 9, chaque pays ayant droit à deux voix. La Belgique, représentée entre autres par Vandervelde et Anseele, vote en faveur de la résolution de Kautsky. Il est à noter que Kautsky révèle ici pour la première fois sa nature centriste et opportuniste, s’écartant de la lutte de principe qu’il a menée en Allemagne contre le bernsteinisme, notamment lors des Conventions de Stuttgart et de Hanovre. Il est rejoint par Vandervelde, pour qui l’affaire Millerand est une question ‘académique et locale’, purement tactique et strictement française, sans conséquences transfrontalières.

L’entrée du socialiste Millerand dans le gouvernement français est à l’origine du premier débat sur la participation gouvernementale au sein de la IIe Internationale.

“En présentant sa résolution, Kautsky a fortement insisté sur le fait qu’il s’agissait d’une question de tactique et non de principe. Tant qu’il n’y a pas de déviation des principes, la tactique choisie est l’affaire de chaque pays. C’est ainsi qu’il formule l’opinion de la majorité de la commission. Il a déclaré qu’il était contradictoire pour les guesdistes de vouloir s’emparer du pouvoir politique dans la municipalité par la voie des urnes – par exemple en acceptant le poste de maire – et en même temps de fermer rapidement la porte du gouvernement devant les socialistes. Il n’y avait pas de différence essentielle entre le pouvoir politique et le pouvoir administratif”.[xii]

Eduard Anseele, le partisan belge du “Bernsteinisme sans Bernstein”.

Eward Anseele (1856-1938) – Wikimedia Commons

En revanche, Eduard Anseele, le champion belge du ‘Bernsteinisme sans Bernstein’, n’a pas besoin de cacher l’importance universelle de cette rupture. Il salue le changement de principe dans un discours lyrique : “Ce qui est le plus significatif dans la résolution de Kautsky, c’est qu’elle exprime l’idée que la victoire du socialisme ne peut être le résultat d’un renversement, mais seulement d’un travail long et patient. C’est une rupture avec le passé. Jusqu’à présent, nous avons prêché la foi dans le grand jour de la révolution, comme l’église renvoie ses fidèles aux gloires du ciel, ou comme la bourgeoisie attribue la toute-puissance à la liberté politique. Cela a créé l’idée que nous pouvons rester tranquilles, les mains sur les genoux, jusqu’au jour de la révolution. A partir d’aujourd’hui, une nouvelle tactique sera appliquée : la tactique du travail acharné et infatigable au jour le jour – et cela ne signifie pas, comme le craint Guesde, un affaiblissement de la conscience socialiste. Il est facile d’inspirer des cœurs jeunes et enthousiastes pour la dernière grande lutte ; il est beaucoup plus difficile d’accomplir jour après jour les petites tâches irritantes qui incombent aux membres d’une organisation. Il est glorieux de construire des barricades, il est tout aussi glorieux d’accomplir cet autre travail. Nous rendons pleinement hommage aux anciens protagonistes de la révolution, mais nous ne devons pas sous-estimer la valeur de ceux qui utilisent aujourd’hui des méthodes mieux adaptées aux conditions actuelles”. Pourtant, même Anseele a jugé nécessaire d’atténuer cette déclaration flagrante de réformisme par une phrase révolutionnaire.“Bien que nous n’utilisions que des moyens pacifiques et légaux pour atteindre notre but, la lutte finale ne nous sera pas épargnée, car la bourgeoisie ne se laissera pas déposséder de son pouvoir politique et économique sans résister”[xiii].

Le sixième congrès de la IIe Internationale (1904 Amsterdam) rejette fondamentalement la participation des gouvernements

Le sixième congrès socialiste international à Amsterdam (1904). Quelques-uns des délégués:  Anseele, 2e à partir de la droite, Vandervelde, 6e à partir de la droite -Wikimedia Commons.

La question est devenue encore plus cruciale lors du sixième congrès de l’Internationale à Amsterdam en 1904. Le POB y était représenté par 38 délégués sur un total de 470 participants. Il s’agit de la première grande confrontation au sein de l’Internationale sur la question de la participation gouvernementale. Les protagonistes de droite étaient Jaurès (France), Vandervelde (Belgique)et Adler (Autriche), tandis que les protagonistes de gauche étaient Bebel (Allemagne), Kautsky (Allemagne), Plekhanov (Russie), Lénine (Russie), Luxemburg (Allemagne), Guesde (France) et De Leon (États-Unis).

Il y eut trois résolutions.

1) Celle de De Leon, qui renverse et condamne la résolution de Kautsky du Congrès de Paris. Kautsky, entre-temps, avait fait une autocritique de sa position au Congrès allemand de Dresde (1903) au Congrès de Paris. La résolution de De Leon ne recueille qu’une seule voix, la sienne.

2) La résolution Adler-Vandervelde ne condamne pas la résolution Kautsky, mais énumère les avantages et les inconvénients de la participation du gouvernement. Elle n’a pas été retenue en raison de l’égalité des voix : 21 contre 21.

3) La troisième résolution, dite Dresde-Amsterdam parce qu’elle reprend l’essentiel de la résolution allemande de Dresde (1903), rejette la participation et obtient une majorité de 25 voix contre 5. Il y a 12 abstentions, dont les deux votes belges. C’est encore Anseele qui explique le mieux cette abstention : “Anseele, qui avait accueilli avec enthousiasme la “nouvelle tactique” en 1900, se réfère à l’expérience de la grève belge pour le droit de vote en 1902. Malgré la prévalence de l’influence opportuniste dans sa direction, le Parti belge avait décidé d’une grève générale pour le suffrage universel en 1902, sous la pression des masses militantes. Bien que les masses se soient engagées dans la lutte avec la plus grande détermination, la direction n’a attendu qu’un moment favorable pour mettre fin à la lutte et conclure un accord avec les partis bourgeois, avec pour résultat l’effondrement total du mouvement et de lourdes pertes. À propos de cette lutte, ce partisan déclaré du réformisme a déclaré :

‘Et si un jour une fraction de la bourgeoisie nous offrait le suffrage universel, l’instruction populaire obligatoire et l’introduction d’une législation protectrice du travail, à condition que nous assumions une partie de la responsabilité du pouvoir gouvernemental. Malheur à ceux qui refuseraient cela et repousseraient le parti belge dans de nouvelles hécatombes. Malheur aux socialistes belges qui préfèrent les batailles de rue sanglantes aux réformes – même si ces réformes portent l’empreinte du gouvernement’.

Et, anticipant un argument qui a depuis été répété à l’infini par les politiciens de coalition de tous les pays, il déclara qu’il n’y avait aucun moyen d’obtenir immédiatement le plein pouvoir gouvernemental, si entre-temps une partie de ce pouvoir était refusée, cela signifiait que la classe hostile conserverait le monopole du pouvoir gouvernemental”[xiv].

Le débat s’est poursuivi après le sixième congrès de la deuxième Internationale.

Pendant ces années, le débat fait rage dans tous les pays. En France, Guesde contre Jaurès. En Russie, Plekhanov et Lénine contre Martov. En Angleterre, Hyndman contre Henderson et McDonald. Aux États-Unis, De Leon, Hillquit et Debs contre Gompers.

Et en Belgique ? Vandervelde veille à la paix idéologique. Dans de nombreux partis, la faiblesse de la gauche réside dans le fait qu’elle se laisse duper pour préserver l’unité du parti. En Belgique, le problème était surtout l’absence de débat et la faiblesse idéologique.

Comme le septième congrès de l’Internationale à Stuttgart en 1907 était déjà largement occupé par le débat sur la guerre (avec la position de Lénine sur la transformation de la guerre en révolution), le POB n’était plus poussé à prendre une position claire sur la participation gouvernementale. Jusqu’en 1909, lorsque la position ‘marxiste’ émergea ouvertement pour la première fois ; une position défendue par Louis De Brouckère.

Dans de nombreux partis, la faiblesse de la gauche était de se laisser tromper pour préserver l’unité du parti. En Belgique, le problème était surtout l’absence de débat et la faiblesse idéologique

Relance du débat au sein du POB en 1909-1910

(Image: openclipart.org)

En 1893, après de violentes émeutes, le suffrage universel pluriel remplace le suffrage Cijn (basé sur les moyens financiers). Désormais, tout homme de plus de 25 ans a droit à une voix, mais certains électeurs (pères de famille, propriétaires ou diplômés de l’enseignement secondaire) peuvent recueillir jusqu’à trois voix. Les effets de la réforme électorale se font déjà sentir lors des prochaines élections, le 14 octobre 1894. Bien que le POB n’ait pas les moyens de financer la campagne électorale, il remporte pour la première fois des sièges parlementaires en Belgique. 28 socialistes, 20 libéraux et 104 catholiques forment le nouveau parlement en 1894.

La majorité du parti catholique s’effrite lentement mais sûrement et, aux élections de 1908, elle est déjà réduite à huit voix. Sur un total de 166 sièges, les libéraux en gagnent 43 et les socialistes 35. Dans la perspective des élections de 1910, le débat s’engage sur une éventuelle alliance du gouvernement socialiste anticlérical avec le parti libéral.

Que penser de la décision du Congrès d’Amsterdam (1904) ? C’est le sujet d’une polémique entre Louis Bertrand et Louis De Brouckère dans les colonnes de Le Peuple en mai 1909.

Polémique entre Bertrand et De Brouckère

Louis Bertrand se prononce clairement en faveur d’un gouvernement de coalition avec le parti libéral : “Les libéraux proposent un programme de réformes démocratiques que les socialistes approuvent et qu’ils devraient de toute façon mettre en œuvre s’ils arrivaient seuls au pouvoir. Un gouvernement socialiste homogène devrait préserver les structures de l’État, en particulier l’ordre public, et donc les budgets qu’il devrait approuver. L’opposition actuelle des socialistes au vote des budgets n’est donc pas incompatible avec une coopération socialiste avec un gouvernement libéral. (…) En d’autres termes, pour Bertrand, la stratégie socialiste de lutte des classes incluait une coopération étendue et généralisée avec au moins une partie de la bourgeoisie : sa faction libérale et progressiste”[xv]. Concernant la résolution d’Amsterdam, Louis Bertrand “conteste la compétence de l’Internationale pour déterminer la tactique socialiste des partis nationaux”[xvi].

Pour Louis De Brouckère, en revanche, il n’en était pas question, puisque la IIe Internationale avait irrévocablement condamné la participation gouvernementale. Pour lui, l’Etat est un instrument d’oppression du prolétariat par la classe capitaliste dans son ensemble, malgré les différences qui peuvent exister au sein de la bourgeoisie. Pour De Brouckère, dans une société bourgeoise, il ne peut y avoir de “ministres socialistes prisonniers des capitalistes obligés de les servir contre les ouvriers”[xvii]. L’Etat étant un instrument de la classe dominante, “le socialiste qui accepte de servir cette machine, quels que soient ses sentiments personnels, ne peut la servir que contre le prolétariat”. Le vote des budgets, tels que ceux de la guerre, de l’intérieur et de la justice, rendrait également les socialistes responsables de l’oppression des travailleurs, tout comme il rendrait impossible la conduite d’une nécessaire campagne antimilitariste. Ainsi, les socialistes deviendraient d’office les avocats de la bourgeoisie auprès des prolétaires”.[xviii]

Seule la lutte des classes est décisive pour obtenir des réformes et conquérir le pouvoir, car “le prolétariat conscient ne prendrait le gouvernement social que s’il était capable de soutenir par la force la voix de ses électeurs et de briser toute résistance”[xix]. A ce moment-là, “le pouvoir socialiste s’établirait sur les ruines de l’ordre précédent”[xx].

Pour De Brouckère, la participation à un gouvernement bourgeois n’est donc pas une question tactique, mais une question de principe, déterminée par l’objectif final

De Brouckère réussit à mettre le débat sur la participation gouvernementale sur la table lors de quatre réunions du Conseil général du POB en octobre 1909. En novembre et décembre, il le fait dans les fédérations de district. Le Conseil général du 22 décembre décide de soumettre la question au Congrès du Parti.

Ce congrès BWP-POB a été convoqué d’urgence le 6 février 1910, avant les élections prévues pour le 22 mai 1910 – Wikimedia Commons

Le congrès du POB du 6 février 1910

Trois résolutions ont été soumises au Congrès.[xxi]

1) La résolution Vandervelde a des origines ambiguës et tente de concilier des positions différentes. Vandervelde avait fait une première tentative au Conseil général du 27 octobre 1909. Sa position étant ambiguë et n’apportant pas de réponse claire, elle fut rejetée par les fédérations. Elle est ensuite ‘modifiée’ par les interventions de Jules Destrée, partisan de la participation gouvernementale, et du groupe de droite Bertrand-Anseele-Troclet, qui estime qu’il s’agit d’une question tactique. La résolution Vandervelde se présente donc comme une résolution des parlementaires et prône clairement la participation à une coalition gouvernementale dès que l’occasion se présente.

Louis De Brouckère (1870-1951) www.marxist.org

2) La résolution De Brouckère est soumise au Conseil général le 13 octobre 1909. Elle s’oppose à la participation du gouvernement à une société bourgeoise. La résolution s’oppose également au soutien systématique d’un gouvernement bourgeois et au vote des budgets. Cette résolution de De Brouckère en tant que directeur de Le Peuple est soutenue par deux fédérations, celle de Bruxelles et celle d’Anvers.

La résolution De Brouckère s’oppose à la participation du gouvernement à une société bourgeoise

3) L’amendement Huysmans-Vandersmissen soutient la position de principe de la résolution De Brouckère, mais propose une exception à la règle générale de rejet des budgets, et ce afin de permettre le soutien de réformes majeures. Elle a exprimé les préoccupations des membres du syndicat bruxellois.

Pour la première fois dans le BWP, le débat programmatique a antagonisé les positions

Le vote a confirmé ce qui était depuis longtemps la position sous-jacente mais jamais clairement exprimée de la direction du POB : 202 voix pour Vandervelde, 77 pour De Brouckère, 23 pour Huysmans-Vandersmissen. Un tiers du congrès a néanmoins voté pour refuser de participer à un gouvernement civil.

La résolution Vandervelde

Il faut toute la finesse des manœuvres du ‘Patron’ pour trancher les débats et les orienter vers une issue opportuniste et révisionniste. La résolution adoptée par les deux tiers du Congrès le 6 février 1910 en est la parfaite illustration.

« POLITIQUE GÉNÉRALE : considérant que le Parti travailliste ne peut ni mettre en péril les intérêts dont il est le gardien, ni apporter son soutien systématique à un gouvernement bourgeois, ni s’engager à l’avance à rendre systématiquement impossible l’existence d’un gouvernement décidé à réaliser les réformes démocratiques urgentes réclamées par la classe ouvrière, le Congrès déclare :

– que les travailleurs belges ont le plus grand intérêt à ce que la majorité cléricale soit renversée et qu’aucun parti bourgeois n’aura de majorité au Parlement ;

– met en garde la classe ouvrière contre les dangers d’une politique qui, sous prétexte de “bloc” ou de coalition anticléricale, porterait atteinte à l’indépendance du Parti du Travail et attire l’attention des militants sur la nécessité d’affirmer en toutes circonstances qu’après la victoire des partis d’opposition, le parti conservera sa pleine liberté d’action.

– que sa politique sera ce qu’elle a toujours été : une politique de classe ;

– que son attitude à l’égard du gouvernement qui sera formé sera inspirée uniquement par les intérêts du prolétariat et dépendra notamment de l’attitude que ce gouvernement prendra à l’égard du suffrage universel et des autres réformes politiques et sociales réclamées par la classe ouvrière.

PARTICIPATION GOUVERNEMENTAL : Le Congrès, vu les résolutions du Congrès international de Paris, confirmées par le Congrès d’Amsterdam, déclare :

– qu’en premier lieu, conformément aux résolutions de ces Congrès, il refuse la participation individuelle à un ministère quelconque de certains socialistes, sans le consentement du Parti ouvrier et que, s’il en était ainsi, ces prétendus socialistes, par ce seul fait, s’excluent du Parti et de l’Internationale ouvrière

– que, pour le reste, la question de la participation au gouvernement est “une question de tactique et non de principe” (Résolution de Paris) et qu’elle devra être résolue par un Congrès du Parti le jour où la question se posera dans la pratique ;

– que la mission politique du Parti du Travail, qui consiste principalement à défendre les intérêts de la classe ouvrière et à propager les solutions les plus radicales et les plus proches de son idéal révolutionnaire de changement social, a été remplie jusqu’à présent surtout sous son aspect critique et oppositionnel, mais qu’un jour viendra où elle devra se manifester sous son aspect constructif et gouvernemental et que ce jour-là le Parti du Travail pourra assumer les responsabilités du pouvoir et concrétiser son programme immédiat et son programme idéal par des démarches de plus en plus parfaites”[xxii].

La tendance ‘marxiste’

Hendrik De Man (1885-1953) -Wikimedia Commons

Rejeté par le vote du Congrès, Louis De Brouckère démissionne de son poste de directeur de Le Peuple. Il reste cependant au bureau du Parti, tandis que ses partisans le quittent. Il les réunit dans un groupe d’études, le Groupe Socialiste Révolutionnaire, qui reste fidèle au POB.

Les deux protagonistes ‘marxistes’, Louis De Brouckère et Henri De Man, prennent la tête de la Centrale d’Education Ouvrière, fondée en mars 1911. En avril 1911, tous deux rejoignent la revue liégeoise Lutte des Classes, qui réunit en quelque sorte les ‘marxistes sans Marx’ contre les ‘Bernsteinistes sans Bernstein’. La revue aurait compté entre 5 000 et 7 000 abonnements durant cette période.

Les deux marxistes très instruits, De Brouckère et De Man, considèrent la Centrale d’Education Ouvrière comme leur bastion dans la lutte contre le révisionnisme du POB. En d’autres termes, ils se sont retirés dans la sphère de la formation et des syndicats. Ils quittent la vie active du parti et adoptent des positions conciliantes pour préserver l’unité du parti.

Ils ne formulent pas de perspectives de pratique positive et s’éloignent du courant du syndicalisme révolutionnaire qui s’oppose à son alliance de fait avec les libéraux.

Louis Bertrand publie un article le 15 août 1910 dans la revue révisionniste allemande Die Sozialistische Monatsheften. C’est sans doute cette publication qui, quelques mois plus tard, en mars 1911, provoque la réaction des deux marxistes belges dans Die Neue Zeit. Dans son article, Louis Bertrand loue le travail réformiste du POB et affirme que le parti est très uni sur son objectif révolutionnaire : la transformation radicale de la société. En revanche, il est divisé sur la manière d’y parvenir. Il y a désormais “une simple tension entre une tendance majoritaire réformiste et ‘une tendance inflexible’”[xxiii].

La tendance marxiste fait une critique cinglante de la pratique du BWP dans deux articles publiés dans “Die Neue Zeit” en 1911

Cette ‘tendance inflexible’ adressa une réponse indirecte à Bertrand à travers deux articles publiés dans ‘Die Neue Zeit’, sous la forme d’une critique flamboyante de la réalité du POB. Henri De Man mettait l’accent sur l’absence de toute réflexion idéologique, tandis que Louis De Brouckère soulignait la stupidité d’un parlementarisme ‘borné’.

De Brouckère : la participation gouvernementale n’ouvrira pas une période brillante pour le prolétariat

Lorsque De Man et De Brouckère publient leur dénonciation du révisionnisme du POB, les dés sont déjà jetés. Le Congrès du POB du 6 février 1910 avait tranché le débat qui n’avait été qu’une brève explosion. Ce n’est plus qu’une question de temps avant que la direction du POB ne saisisse la première occasion d’entrer dans un gouvernement bourgeois.

Le caractère des textes de ‘Die Neue Zeit’ ne peut être compris sans la connaissance de ce qui précède. Comme Louis De Brouckère le dit lui-même, il ne mène plus le débat idéologique – qu’il a perdu – mais tente de combattre par des arguments pratiques l’illusion selon laquelle l’entrée dans une coalition gouvernementale avec le parti libéral serait le début d’une période brillante pour le prolétariat.

Cette promesse émane non seulement de ceux que De Brouckère appelle “les plus enthousiastes – et les plus naïfs” (Bertrand et Anseele), mais aussi “les plus réfléchis et les plus sérieux” (Vandervelde). Il cite notamment le camarade Vandervelde qui “s’est évertué à montrer qu’il ne s’agirait plus d’un nouveau basculement du vieil équilibre clérico-libéral rompu depuis vingt-six ans, mais d’un événement décisif : ‘la démocratie s’épanouira pleinement’”[xxiv].

Un avenir radieux dépend uniquement de la lutte des classes

De Brouckère argumente au niveau de ce qui est devenu pour lui un parti de “résultats pratiques”. Il veut montrer que l’avenir radieux du socialisme belge dépend uniquement de la lutte des classes et non de la participation au gouvernement.

L’avenir radieux du socialisme belge dépendra uniquement de la lutte des classes et non de la participation du gouvernement

Il commence par montrer que malgré l’ascension fulgurante des socialistes au parlement depuis l’introduction du suffrage universel pluriel (pour les hommes) en 1893, les résultats sont restés maigres. Il nie ensuite qu’une alliance avec le parti libéral, par nature archi-bourgeois, puisse ouvrir la voie à des réformes radicales. De Brouckère s’oppose donc au parlementarisme du POB, mais en l’absence de perspectives révolutionnaires, il se contente d’esquisser la lutte pour le suffrage universel et unique comme seule alternative. C’est là toute l’ambiguïté d’une analyse qui met pourtant le doigt sur nombre de péchés originels du POB. Suivons l’argumentation de Louis De Brouckère.

De Brouckère a démontré que, malgré l’ascension fulgurante des socialistes au sein du parlement, les résultats étaient demeurés limités

Un parti fondé sur l’instinct de classe ou la conscience de classe

Elle commence par sa fondation. Louis De Brouckère rappelle que le POB était à l’origine une fédération de groupes de travailleurs, dont la grande majorité étaient des coopératives, des mutuelles, des syndicats et – en nombre relativement restreint – de véritables associations politiques. “Lorsque ces éléments se sont unis, ce n’était pas tant pour atteindre un idéal commun. Ils étaient plutôt mus par le sentiment assez sombre qu’ils avaient des intérêts communs à défendre dans l’arène politique contre tous les partis bourgeois. (…) Le regroupement des intérêts est plus spontané, c’est surtout une question d’INSTITUTION DE CLASSE. Les partis qui unissent leurs membres dans la poursuite d’un idéal socialiste précis sont davantage le produit de l’INSTINCTION DE CLASSE. L’instinct et la conscience sont également nécessaires à une existence active et saine. Le Parti Ouvrier Belge a fait preuve d’un instinct puissant qui a fait sa grandeur pendant longtemps, mais il lui manquait une conscience claire et une vision claire du but à atteindre, c’est-à-dire qu’il manquait un peu de culture et de théorie. Et cela a rendu le mouvement extrêmement faible dès sa naissance et au moment décisif, comme le montre l’étude de son histoire.”[xxv]

Louis De Brouckère souligne d’emblée que l’existence éphémère des groupes socialistes et leur faiblesse théorique constituent un grave danger : “Il était à craindre que la démocratie bourgeoise ne récupère le mouvement à travers la campagne pour le suffrage universel qui commençait à agiter le pays”[xxvi]. En témoigne un article publié en novembre 1883 dans lequel Louis Bertrand préconise de réunir les organisations de secours mutuel et les associations de résistance syndicale en un grand Parti ouvrier doté d’un programme minimum auquel d’autres réformes plus profondes et plus radicales viendraient s’ajouter au fur et à mesure que le besoin s’en ferait sentir. C’est ainsi que le POB se constitue en 1885, en choisissant un nom plus innocent que celui de Parti socialiste, terme qui rebutait encore beaucoup de travailleurs à l’époque.[xxvii]

La période la plus glorieuse du POB

La grève générale de 1893 en Belgique. Après la grève, le vote universel pluriel a été introduit – Eugène Laermans – Wikimedia Commons

Pour Louis De Brouckère, c’est le début de la période la plus glorieuse de son parti, qui s’achève vers la fin du siècle, au cours de laquelle il a vu « nos ouvriers pleins d’énergie et animés d’un très grand enthousiasme »[xxviii]. Il constate un mouvement général particulièrement brillant en Belgique, avec des coopératives en plein essor et des maisons du peuple dans tous les grands centres ; avec des instruments et des symboles de la solidarité morale et matérielle qui lient l’action communautaire.

C’est là que s’organisent “la propagande pour le suffrage universel, les campagnes d’agitation de toutes sortes, les assemblées populaires et les grandes manifestations. Lors des journées rouges de révolte, si nombreuses en ces temps agités, les foules se pressent à la ‘Maison du Peuple'”[xxix]. Les grèves sont nombreuses durant cette période et connaissent un succès encourageant.

En huit ans, de 1886 à 1894, neuf lois sociales sont adoptées, dont une qui, après les émeutes de 1886, réglemente le travail des femmes et des enfants. La Belgique est même le premier pays, après les Etats-Unis, à découvrir l’arme de la grève générale. Cela aboutit à une victoire incontestable en 1893 avec l’introduction du suffrage universel pluriel. La Belgique compte alors 1 300 000 électeurs au lieu de 130 000. Bien entendu, certains d’entre eux disposent (encore) de deux ou trois voix.

La période de stagnation et de pragmatisme borné

Pour Louis De Brouckère, une période de stagnation et de pragmatisme borné s’ouvre alors. Il fustige le mépris de la théorie, une politique axée sur les résultats immédiats et qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez. “Le POB veut être un parti d’hommes d’action qui ne s’occupent que des faits, de la réalité immédiate, et qui se comportent selon les circonstances et non selon les formules des savants du cabinet”[xxx]. C’est comme naviguer sans boussole et sans carte, dit Louis De Brouckère. “Tant que la mer est calme et le ciel dégagé, tout va bien. Mais quand la tempête se lève ; quand le navire entre dans un détroit dangereux, ces marins trop pratiques laissent leur navire échoué sur des écueils cachés, que leurs prédécesseurs avaient déjà explorés en lançant des baguettes de sonde.”[xxxi]

De Broukère a eu des mots durs pour le mépris de la théorie, pour une politique axée sur les résultats immédiats

L’esprit de clocher et la nature apolitique des coopératives

Louis De Brouckère a principalement critiqué l’esprit de clocher des coopératives et la nature apolitique des syndicats. Henri De Man a développé ces critiques de manière beaucoup plus détaillée. Il consacre une partie de son article à la “nature populaire belge”[xxxii], qui “méprise tout ce qui échappe à la “saine” intelligence de l’épicier ordinaire, en un mot, la science”[xxxiii]. De Man : “Ainsi, la théorie du révisionnisme belge n’est rien d’autre que la négation de la théorie. Selon eux (les révisionnistes – notes de la rédaction), la tactique du parti doit se référer non pas à une conception générale précise du principe prolétarien de la lutte des classes, ni à une critique générale des conditions sociales et politiques, basée sur l’expérience historique et sur l’étude de la société capitaliste, mais à la ‘saine raison humaine’”[xxxiv].

De Brouckère partage pleinement cette appréciation : “En Allemagne, la résistance de la bourgeoisie, la durée et les difficultés de la lutte ont amené Bernstein à prêcher le révisionnisme dès 1896. En Belgique, par contre, les mêmes événements nous ont amenés à mettre le ‘révisionnisme en pratique’. Le mouvement ouvrier adopte un matérialisme borné et ne recherche partout que de petits profits, de petites réformes, de petits avantages dans le cadre de l’environnement bourgeois. Au lieu de changer le monde à son image, il s’est changé à l’image du monde capitaliste. Les coopératives de travail sont devenues des organisations d’épiciers et la politique du mouvement ouvrier s’est rapprochée des partis bourgeois. C’est ce qu’on a appelé l’ère de l’esprit pratique, l’ère des réalisations”.[xxxv]

Ni De Man ni De Brouckère ne reviennent sur le débat qui a eu lieu l’année précédente au sujet d’une éventuelle participation gouvernementale. Malgré les critiques sévères de De Man à l’égard de son parti, il se montre optimiste. Il considère la tâche des marxistes comme “une amélioration structurelle de l’organisation de notre formation”[xxxvi].

De Brouckère : En se concentrant davantage sur le travail parlementaire, le POB a réalisé de moins en moins de réformes profondes.

De Brouckère se contente toutefois de mettre en garde contre la participation à un gouvernement anticlérical. Il analyse comment la bourgeoisie a relancé le parti catholique pour contrer la montée des socialistes, avec pour conséquence que le POB a glissé vers une alliance avec le parti libéral. Il montre comment le POB a réalisé de moins en moins de réformes profondes à mesure que le parti s’est concentré sur le travail parlementaire. Il met en garde contre les concessions que le parti devrait accepter pour entrer au gouvernement en tant qu’aile gauche du parti libéral et suivre ses traces. Louis De Brouckère montre qu’en raison de ce changement passé inaperçu, le POB a perdu confiance en son pouvoir autonome. “Au lieu de répondre à cette situation par une politique prolétarienne plus prononcée, il fait des petits pains avec les libéraux, les laisse l’entraîner dans une réaction exclusivement anticléricale, et demain il risque d’être englouti et de dégénérer en un bloc de gauche agissant comme agent et collaborateur du pouvoir capitaliste.”[xxxvii]

Un combat d’arrière-garde

Il s’agissait d’un combat d’arrière-garde. De Brouckère savait mieux que quiconque que ce n’était qu’une question de temps avant que le parti n’entre dans un gouvernement. Il est cependant convaincu que cela ne détruira pas le socialisme. “Ma confiance dans l’avenir du prolétariat est inébranlable. Il ne connaît pas de défaite définitive. Une erreur tactique peut conduire à des échecs : cependant, ce genre d’expérience peut être un apprentissage et le prélude à de brillantes victoires.”[xxxviii]

La suite

La suite n’a pas été brillante du tout. Le POB organise à nouveau une grève générale pour le suffrage universel en 1913, mais veille en même temps à ce qu’il n’y ait pas de rébellion ni même de trouble de l’ordre public. Louis De Brouckère et Henri De Man rejoignent les rangs lorsqu’Emile Vandervelde entre dans le cabinet de guerre en 1914. De Brouckère se retire ensuite des premiers rangs du parti, publiant un texte pour l’Union socialiste sur le contrôle ouvrier en 1921.

De Man, en revanche, revient avec conviction après un voyage d’étude aux Etats-Unis où il a découvert les mérites du taylorisme. En 1926, il publie son ouvrage anti-marxiste le plus important, Au-delà du marxisme (Die Psychologie des Sozialismus). En 1932, en pleine crise économique, le parti fait appel à lui et il devient l’auteur du célèbre Plan du travail. Il est ministre de 1935 à 1938 et succède à Emile Vandervelde à la présidence du POB en 1939. Lorsque les nazis envahissent le pays, il publie son Manifeste appelant le parti à ne pas résister. Il prône l’occupation fasciste comme “l’effondrement d’un monde pourri”, un monde qui offre de nouvelles opportunités et ouvre la voie à “la paix européenne et la justice sociale”.

Jo Cottenier

La biographie de Jo Cottenier peut être lue ici.

Si vous souhaitez recevoir l’essai de Jo en document PDF, vous pouvez envoyer un e-mail à fondationjocottenierstichting@gmail.com.

 

 


[i] “Un aspect de la lutte des tendances socialistes – Le mouvement ouvrier en Belgique (1911)” par HENRI DE MAN et LOUIS DE BROUCKERE. Traduit de l’allemand par RENE DEPREZ et introduit par MAXIME SZTEINBERG. Désormais désigné comme ‘Le mouvement ouvrier en Belgique (1911)’. Henri De Man et Louis De Brouckère forment l’opposition “marxiste” au sein du POB en 1911.

Voici d’autres termes qui apparaissent fréquemment dans les essais :

Réformiste(s) et Réformisme. Le réformisme est l’aspiration aux réformes AU SEIN du système capitaliste existant. C’est un courant au sein du mouvement ouvrier qui s’oppose au courant révolutionnaire prônant un changement de système.

Le courant révolutionnaire et les révolutionnaires. Les révolutionnaires aspirent au socialisme et veulent l’atteindre par un bouleversement social venu d’en bas. Ce qui ne veut pas dire que ce courant est contre les réformes. Mais ils intègrent ces réformes dans le cadre de leur aspiration à un bouleversement socialiste. Ce courant s’appuie sur le marxisme.

La Deuxième Internationale est une organisation internationale fondée le 14 juillet 1889. Elle regroupe tous les partis politiques et syndicats socialistes existant à l’époque.

Le révisionnisme est un mouvement au sein du mouvement syndical qui cherche à réviser le marxisme. Le révisionnisme est étroitement lié au réformisme.

[ii] Eduard Bernstein était un homme politique social-démocrate allemand. À partir de 1896, Bernstein se distancie de l’idée marxiste traditionnelle selon laquelle seul un bouleversement social offre la possibilité d’améliorer durablement la position du prolétariat. Il se profile comme le premier révisionniste qui prône une révision (révision) du marxisme. Lors du congrès du parti social-démocrate allemand à Hanovre en 1899, ses thèses sont rejetées par le parti allemand.

Cela n’a pas empêché ses idées de se répandre dans d’autres partis sociaux-démocrates de la Deuxième Internationale. Ses idées se retrouvent également au sein du BWP. C’est pourquoi De Brouckère et De man ont parlé d’un “révisionnisme sans Bernstein” émergeant – un “bersteinisme sans Bernstein” au sein du BWP.

Voir plus loin dans le texte sous le titre “Eduard Bernstein – le premier grand révisionniste”.

[iii] Après la publication dans Die Neue Zeit, les auteurs ont également voulu publier leurs articles dans les journaux du BWP, mais ils n’y sont pas parvenus. Même dans les quatre volumes des Oeuvres choisies de Louis de Brouckères, l’Institut Emile Vandervelde n’a pas publié ces articles. Il était clair que la direction du BWP voulait cacher le contenu de ces deux articles à ses membres. Les deux articles ne furent traduits en français qu’en mars 1965 par René Deprez. Ils ont ensuite été publiés dans ‘Le mouvement ouvrier en Belgique (1911)’

[iv] Résolution sur l’attitude du Parti Ouvrier vis-à-vis des gouvernements bourgeois. Cette résolution a été présentée par Emile Vandervelde, le 6 février 1910, au XXVe congrès annuel du BWP. Publié dans ‘Le mouvement ouvrier en Belgique (1911)’, p. 182-183.

[v] Résolution présentée par Louis de Brouckère au Conseil général le 13 octobre 1909. Le mouvement ouvrier en Belgique (1911), p. 183

[vi] Discours au XXVe Congrès. Cité par Szteinberg dans “Le mouvement ouvrier en Belgique (1911)”, p. 24.

[vii] Ibid.

[viii] Stengers Jean. “België en Rusland, 1917-1924: ‘Regering en publieke opinie'”. Dans: Revue belge de philologie et d’histoire, tome 66, fasc. 2, 1988. Histoire – Geschiedenis. pp. 296-328. Cité à la page 301. Zie ook: https://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_1988_num_66_2_3628

[ix] La ‘Troisième Internationale’, dans Le Peuple, 25 mei 1919, reproduit dans L. De Brouckère, Oeuvres choisies, tome 4, Le Journaliste, Bruxelles, 1962, p. 325.

[x] L. De Brouckère, Oeuvres choisies, vol. 3, Le Défenseur de la Paix, Bruxelles, p. 353

[xi] Les trois promesses du Bolchevisme. Conférence donnée à Oxford le 18 mai 1921, dans E. Vandervelde – Réalisations socialistes. Notre action d’après-guerre, Bruxelles, 1923, pp. 196-224

[xii] The rise and fall of the second international, J. Lenz, International Publishers, New York, Copyright 1932, par International Publishers Co, Inc. p. 32

[xiii] Ibid. p. 45

[xiv] Ibid. p. 45

[xv] Cité par Szteinberg dans Le mouvement ouvrier en Belgique (1911), p. 19-20

[xvi] Ibid.

[xvii] L. De Brouckère dans Le Peuple, mai 1909

[xviii] Ibid.

[xix] Ibid.

[xx] Ibid.

[xxi] Décrit par Szteinberg dans Le mouvement ouvrier en Belgique (1911), p. 22-23

[xxii] Le mouvement ouvrier en Belgique (1911) p. 182-183

[xxiii] C’est la contribution de Bertrand qui a inspiré les articles de Die Neue Zeit, publiés en 1965 dans Le mouvement ouvrier en Belgique (1911)

[xxiv] Le mouvement ouvrier en Belgique (1911), p. 119

[xxv] Ibid. p. 88-89

[xxvi] Ibid. p. p. 85

[xxvii] Décrit dans Le mouvement ouvrier en Belgique (1911), p. 86-87

[xxviii] Le mouvement ouvrier en Belgique (1911), p. 89

[xxix] Ibid. p. 90

[xxx] Ibid. p. 95

[xxxi] Ibid. p. 95

[xxxii] Ibid. p. 61-63

[xxxiii] Ibid. p. 62

[xxxiv] Ibid. p. 62

[xxxv] Ibid. p. 146

[xxxvi] Ibid. p. 79

[xxxvii] Ibid. p. 147

[xxxviii] Ibid. p. 147-148

 

 

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