La réaction de Bert Engelaar, Secrétaire Général de la FGTB, à l’annonce de l’accord de Pâques du gouvernement De Wever était révélatrice : « Je ne vois aucune plus-value à la participation de Vooruit à ce gouvernement. Il est sacrément difficile de continuer à défendre ce qui est actuellement sur la table. » (De Standaard, 30/4/2025)
Il y a plus de cent ans, en 1910, la participation au gouvernement était déjà à l’ordre du jour du 25e congrès du Parti Ouvrier Belge (POB), le prédécesseur de Vooruit et du Parti Socialiste.
«Je ne vois aucune plus-value à la participation de Vooruit à ce gouvernement.»
En 1911, Louis de Brouckère et Henri De Man, figures de proue du POB, ont rédigé deux articles sur les débats et discussions qui se tenaient alors au sein du POB. Ces deux textes, écrits par les marxistes les plus éclairés de l’époque au sein du POB, restent pertinents et méritent d’être étudiés aujourd’hui par quiconque souhaite maintenir une orientation de gauche.
Dans un long essai, Jo Cottenier, décédé subitement l’année dernière, a annoté ces deux articles. Cet essai n’avait pas encore été publié. La Fondation Jo Cottenier publie aujourd’hui pour la première fois l’essai de Jo. Vous en trouverez un résumé ci-dessous.
Si vous souhaitez lire l’essai dans son intégralité, vous pouvez passer ce résumé et lire le texte complet ici.
Résumé de l’essai de Jo Cottenier : Notes sur “Le mouvement ouvrier en Belgique (1911)”
L’essai commence par le débat au sein du Parti ouvrier belge (POB) et de la Deuxième Internationale[i] (des partis socialistes) sur la participation des socialistes au gouvernement, un moment clé dans l’histoire du socialisme.
En Belgique, où le parti catholique détient le monopole politique depuis 1885, une discussion s’engage en 1909-1910 sur une éventuelle coalition entre le POB et le parti libéral pour briser ce monopole.

« Le mouvement ouvrier en Belgique (1911) ! » , rédigées par Henri De Man et Louis De Brouckère
Au cœur du débat : principes contre tactiques
Le débat portait sur la question de savoir si la participation des pouvoirs publics était une question tactique ou une question de principe. L’aile droite, représentée par des leaders comme Emile Vandervelde, considère la participation au gouvernement outil tactique qui dépend des circonstances.
De l’autre côté, on trouve l’aile gauche, menée par Louis De Brouckère. Elle soutenait que l’État était un instrument de l’oppression capitaliste et que la collaboration socialiste avec un gouvernement capitaliste affaiblirait la classe ouvrière. L’aile gauche s’appuyait également sur les décisions du sixième congrès de la IIe Internationale (1904 Amsterdam) qui rejetait par principe la participation gouvernementale.
Selon De Brouckère, la participation au gouvernement a entraîné une perte de conscience révolutionnaire et de capacité de mobilisation
Le débat est tranché lors du congrès du POB en février 1910. La résolution de Vandervelde y est adoptée, ouvrant la voie à la participation gouvernementale. Cependant, un tiers du congrès vote contre, ce qui met clairement en évidence les divisions au sein du parti.
Contexte historique et idéologique du débat
Le débat en Belgique reflète des discussions plus larges au sein de la Deuxième Internationale, comme lors des congrès de Paris (1900) et d’Amsterdam (1904). Le révisionnisme[ii] d’Eduard Bernstein, qui plaçait la réforme au-dessus de la révolution, y devint un sujet de discussion majeur. Des personnalités comme Rosa Luxemburg (Allemagne), Lénine(Russie) et Jules Guesde (France) défendent une position marxiste de principe, tandis que d’autres, comme Jean Jaurès (France) et Vandervelde (Belgique), défendent une coopération pragmatique avec les partis bourgeois (de droite).
Henri De Man a critiqué l’absence de débats idéologiques et l’absence d’une vision socialiste claire
En Belgique, l’introduction du droit de vote pluriel universel en 1893 a permis au POB de progresser politiquement. Le parti se concentre de plus en plus sur les réformes pragmatiques et le travail parlementaire, ce qui, selon des critiques comme De Brouckère, conduit à une perte de conscience révolutionnaire[iii] et de pouvoir de mobilisation.
Critique de De Brouckère et De Man sur une participation gouvernementale
Les deux articles de Louis De Brouckère et Henri De Man en 1911 constituent une vive critique de la ‘bourgeoisification’ (comprendre : droitisation) du POB. De Man critique l’absence de débats idéologiques, l’absence de cadres théoriques au sein du parti et l’absence d’une vision socialiste claire.
Le POB ne devait pas oublier que sa force résidait dans les coopératives, les syndicats et les organisations populaires
De Brouckère a averti que la collaboration avec le Parti libéral conduirait au déclin du POB et que le parti devrait tirer sa force de la lutte des classes, et non de sa participation au gouvernement.
Tous deux ont souligné que le POB ne devait pas oublier que sa force résidait dans le mouvement ouvrier, avec pour base les coopératives, les syndicats et les organisations populaires. De Man et De Brouckère tentent d’offrir une alternative par le biais de l’éducation et de la réflexion idéologique, mais ils manquent de pratique révolutionnaire.
Après le débat : la participation gouvernementale
La participation de Vandervelde au gouvernement en 1914 et le soutien du POB à l’Union Sacrée (le gouvernement d’unité nationale) pendant la Première Guerre mondiale confirment l’orientation du parti. Le courant réformiste[iv] qui prédomine désormais au sein du POB fait ses adieux à l’internationalisme et à l’opposition aux guerres. Louis De Brouckère se retire et se réconcilie avec le réformisme pour préserver l’unité du parti. Henri De Man, quant à lui, se fait connaître plus tard par le Plan du Travail (1933). Finalement, De Man a sombré dans la collaboration avec le nazisme pendant la Seconde Guerre mondiale, ce qui a grandement affecté son héritage politique.
Le débat sur la participation gouvernementale au sein du POB reflète les tensions plus larges au sein du socialisme entre le réformisme et le marxisme révolutionnaire. Il illustre comment les choix tactiques et le pragmatisme ont souvent sapé les idéaux socialistes et la lutte des classes. Les critiques de De Brouckère et De Man mettent en lumière les faiblesses structurelles du POB, mais leurs idées trouvent peu d’écho au sein d’un parti qui s’oriente de plus en plus vers le réformisme.
L’intégralité de l’essai de Jo est disponible ici.
La rédaction de la Fondation Jo Cottenier
La biographie de Jo Cottenier peut être lue ici.
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[i]La Deuxième Internationale est une organisation internationale fondée le 14 juillet 1889. Elle regroupe tous les partis politiques et syndicats socialistes existant à l’époque.
[ii] Le révisionnisme est un mouvement au sein du mouvement syndical qui cherche à réviser le marxisme. Le révisionnisme est étroitement lié au réformisme.
[iii] Le courant révolutionnaire et les révolutionnaires. Les révolutionnaires aspirent au socialisme et veulent l’atteindre par un bouleversement social venu d’en bas (révolution). Ce qui ne veut pas dire que ce courant est contre les réformes. Mais ils intègrent ces réformes dans le cadre de leur aspiration à un bouleversement socialiste. Ce courant s’appuie sur le marxisme.
[iv] Réformiste(s) et Réformisme. Le réformisme est l’aspiration aux réformes AU SEIN du système capitaliste existant. C’est un courant au sein du mouvement ouvrier qui s’oppose au courant révolutionnaire prônant un changement de système.