À l’occasion du décès de Jo Cottenier, un pionnier
« Les révolutions sont les locomotives de l’histoire », disait Marx. Je ne sais pas si Jo s’est inspiré de Karl pour sa barbe, mais de sa vie oui, ça c’est sûr. Pour conduire une telle locomotive, t’as besoin de machinistes, et t’as aussi besoin de la locomotive elle-même. Et dans notre pays, à la fin des années soixante, il n’y avait pas cette locomotive. Une génération de pionniers a donc décidé de construire elle-même un parti révolutionnaire. Jo Cottenier avait à peine 22 ans quand il a arrêté ses études de médecine, pour aider à fonder un nouveau parti, au Limbourg, près des mines.
Aujourd’hui, nous disons adieu à un pionnier, à quelqu’un qui pendant toute sa vie, a alimenté la locomotive avec le charbon de la connaissance et de l’engagement. Car oui, Jo avait soif de savoir, et à soixante-dix ans, il avait encore aussi autant envie d’apprendre qu’à vingt ans. Seul celui qui reste élève toute sa vie peut vraiment être un enseignant, et c’est ce qu’il était : toujours envie d’apprendre, autodidacte, systématique. Il racontait avec passion les conversations qu’il a eues avec son fils sur les dernières évolutions du secteur technologique.
Jo Cottenier était un communiste et, avec d’autres de sa génération, il a mis son talent, son enthousiasme et sa détermination au service de la création d’un nouveau parti communiste dans notre pays. Le journal ‘Tout le Pouvoir aux Ouvriers’ est né, du nom du parti en formation, et Jo en est devenu à la fois le rédacteur en chef et le dessinateur. Sur la couverture du premier numéro : un politique bourgeois qui joint les mains, se met à genou et qui appelle le peuple à voter pour lui. Accompagné d’un texte très simple: « je vous promets tout ». Signé : Jo Cottenier.
Il y a vingt ans, j’ai reçu plusieurs textes de Jo, des textes écrits à la main. Des notes sur l’économie politique, sur Vandervelde et l’État, sur Hendrik De Man. Je n’ai jamais vu de notes aussi claires, précises et méthodiques. Jo avait une énorme rigueur dans l’étude. Jo ne se basait pas sur des coupures de presse ou des nouvelles du jour, mais sur les documents primaires, les documents de la FEB, de la Générale, de la Commission européenne ou encore de la Table ronde européenne. Il allait à la source, puis il analysait.
Ça nous a donné des livres qui sont devenus des œuvres de référence. Par exemple, son livre sur l’histoire de la Société Générale de Belgique, appelé simplement “La Générale”. Et ensuite, le livre qu’il a coécrit avec Kris Hertogen, ‘Le temps travaille pour nous’ un guide précieux pour de nombreux syndicalistes combatifs dans les années 90.
Parce qu’il aimait se laisser défier par le renouvellement et la science, il a lui-même été un porteur du changement au sein du parti. Il a posé les premières pierres de notre service d’études, et plus tard de notre centre de documentation, en collaboration avec Nikol Lanin. Il a développé la ligne économique de notre parti et analysé les programmes socio-économiques des différents gouvernements dans les brochures vertes et rouges. Il a souligné la dimension européenne de la lutte et a été l’inspirateur de notre Eurostop de décembre 1991 à Bruxelles, contre les plans de Maastricht. Il a mis très tôt la question du climat au centre de notre parti.
Jo faisait partie de cette génération d’intellectuels de mai 68 qui n’ont jamais pensé d’abord à eux-mêmes et qui n’ont jamais changé de cap. Jo a dédié sa vie à la libération du travail et au développement de la lutte des travailleurs. Son intention n’était pas de plaire aux syndicalistes, mais d’apporter de la compréhension, et il le faisait avec passion. Il posait des questions, faisait réfléchir, écoutait les expériences et les connaissances des syndicalistes. Ainsi, il a lié la lutte et l’étude, aussi dans son engagement. Contre la fermeture de l’industrie sidérurgique à Athus, lors de la grève des dockers à Anvers, et dans la lutte des Forges de Clabecq à Tubize à la fin des années 1990 avec Roberto D’Orazio, Silvio Marra et d’autres.
Son regard allait au-delà de la petite Belgique. La fenêtre de Jo offrait une vue plus large sur le monde: de l’Europe aux États-Unis, du Moyen-Orient à la Chine, et spécialement la Palestine, qui lui tenait particulièrement à cœur.
En 2011, j’étais à Cuba avec lui et nous avons séjourné dans un tout petit hôtel au premier étage. Derrière son apparence sérieuse, j’ai appris à connaître un Jo différent, un homme pétillant en senisble, quelqu’un qui aimait rire, une belle âme. Mais toujours systématique, car lorsque nous rentrions le soir de nos visites de travail, l’ordinateur portable était immédiatement ouvert pour tout traiter. Nous ferons cela ensemble, Jo, ai-je dit, et il a ri et est allé chercher deux bières dans le réfrigérateur.
« Il faut créer des personnes sobres et patientes qui ne désespèrent pas face aux pires horreurs et qui ne s’exaltent pas à chaque bêtise », Antonio Gramsci le savait lorsqu’il dirigeait le parti communiste italien pendant les années noires. Le chemin vers l’avant n’est pas toujours droit et il y a eu suffisamment de difficultés, aussi au sein de notre parti. Mais Jo était sobre et patient, et il ne s’exaltait pas pour chaque bêtise.
J’aime voyager, je n’aime pas arriver à destination. C’est peut-être l’odyssée de chacun de nous. Jo venait de Flandre occidentale, mais le voyage de sa vie engagée l’a mené à Louvain et Anvers, à Pékin et Beyrouth, à Charleroi et Bruxelles, à La Havane et Chicago, à Alost et de retour à Anvers. Pionnier, passant du néerlandais au français puis à l’anglais, avec comme seul patrie la classe ouvrière.
Il aimait la photographie, l’art, et les fantastiques dessins que son fils Philippe réalisait à Grenade en Espagne, dont il n’arrêtait pas de parler. Jo était passionné par le rouge et le vert, au sens propre comme au figuré. Le Rivierenhof est devenu son jardin et Anne sa partenaire. Il aimait partager toute cette beauté, de préférence avec Anne. Partager sa passion avec son âme sœur, sa camarade de parti, son amoureuse. Lorsque cela a disparu, une grande plaie s’est ouverte.
Avec Jo Cottenier, nous perdons un monument, un économiste marxiste, un phare d’engagement et un pionnier de notre parti.
Mes condoléances, Thomas et Philippe, pour le décès soudain de votre père.
Mes condoléances à tous ses petits-enfants, dont il parlait avec tant de joie.
Mes condoléances à son frère et à sa sœur ainsi qu’à toute la famille.
Mes condoléances à Wies.
Nous perdons tous un roc, mais « ceux qui ont des camarades ne mourront pas », dit-on.
Rest in Power comrade.
Peter Mertens – Secrétaire général du PTB
Source: Facebook Peter Mertens – 30 août 2024 (https://www.facebook.com/peter.mertens.39/posts/pfbid0gUbJPTEuom2NFXsh2QS7vtZhrzsEUwstbLD9v3AfMajxGQEkMbxiaAQVtMnnjQMml) avec 11 reactions.
- Ivan Van de Velde: Beaucoup de force Peter et à la famille de Jo … une personne merveilleuse et un chef d’équipe qui ne sera pas oublié …
- Alain Claessens: Bel hommage à l’un des pères fondateurs de notre parti, Peter.
- Els Roes: Bel hommage de Peter Mertens. Je n’ai que du respect pour les personnes, comme Jo, de la première génération, qui ont fondé et développé le PTB, et qui lui sont restées fidèles toute leur vie. Merci, Jo Cottenier, pour cet exemple inspirant.
- Frank Caes: Respect, reposez en paix camarade.
- Mie Branders: Bel hommage . Son sourire de moine. Je l’ai adoré
- Denis Bouwen: Je ne suis pas communiste. Mais j’ai beaucoup de respect pour ces personnes engagées qui n’ont jamais tourné leur kazak. Il y en a eu d’autres, qui sont passés d’une position très à gauche à une position très néolibérale. Je ne connaissais pas vraiment Jo. Sa compagne Anne, je l’a connu. Une femme merveilleuse. S’ils étaient ensemble, cela en dit beacoup sur Jo. Qu’il repose en paix.
- Ronny Struyf: “Bedankt voor die woorden Peter. Erg treffend.”
- An Buelens: Merci pour ces mots, Peter. Ils sont très pertinents.
- Samuël Van Den Eeckhout:Jo était l’une de ces personnes qui me faisaient assister à des formations uniquement parce qu’il les donnait, ou à des débats parce qu’il faisait partie du panel.
Il a également été l’une des dernières personnes à qui Romain, le premier président d’Alost, a parlé juste avant de mourir.
Il a été une grande source d’inspiration et un exemple pour moi, en raison de son intégrité, de ses connaissances et de son dévouement.
Merci pour tout, Jo. - Germain Mugemangango: Tous nos vœux à sa famille et à ses amis.
- Andries Smet: Après le “Congrès du renouveau”, le PTB a déclaré qu’il visait le “socialisme 2.0”. Je pense que c’est une bonne description de notre objectif ultime. J’aimerais que le parti s’y tienne. Nous sommes pour un socialisme contemporain et démocratique : un socialisme 2.0.